La tombe inconnue

Il était assez tôt, le jour était tout juste levé, quand une ombre au long manteau noir et à la large capuche passa entre les grilles du cimetière. Se déplaçant rapidement entre les tombes alignées, sans jeter de coup d'oeil aux alentours, cette personne devait certainement où aller. Elle alla tout droit, puis tourna à droite, vers le fond du cimetière. Puis, elle s'arrêta. Immobile devant une tombe mal entretenue et sans nom, le visiteur enleva sa capuche. C'était une jeune femme au long cheveux brun. Elle portait autour du cou une fourrure rousse. En fait, en regardant bien, il ne s'agissait pas d'un accessoir mais, de son deamon. Un chat roux aux poils mi-long.

- Ca fait longtemp! Elle est toute moche maintenant!

- Mouais... Il serrait sans doute furieux s'il le savait...

- Encore heureux qu'il ne le sache pas! Descends, tu me tiens chaud!

Le chat sauta à terre et se mit à ronroner fortement. Tout en se posant sur son arrière-train, il se mit à chanter.

- Non! Rien de rien! Noon! Je ne regrette rien...

Avant même qu'il ait pu continuer, sa partenaire l'en empêcha.

- Tu ne va pas te mettre à chanter ici, quand même?

- Un probleme, ma chère Gabrielle?

- Non... Pas vraiment. Mais ne chante pas dans un cimetière aussi glauque! On pourrait nous prendre pour des fous!

- N'est ce pas ce que nous sommes?

Si on aurrait pu mettre une expression sur le visage du chat, on pourrait facilement lire de la malice. Gabrielle le reprit dans ses bras avant de s'accroupir. Soudain, elle sentit quelque chose d'étange. Est-ce à cause des ces monbreuse années à fuir le genre humain, ou seulement de la paranoïa.

*Dis, Mr Crow? tu ne sens pas comme une présence?*

*Et bien, je ne sais pas... peut être?*

La trop grande curiosité poussa le jeune femme à se retourner.

Le Furya étouffa un bâillement et s'adressa à son Deamon.

-Dis... tu peux me rappeler pourquoi on se retrouve au cimetière à une heure pareille ?
-Parce qu'aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la mort de tes parents. Ça s'appelle le respect.
-Tch...

Valdo étouffa un deuxième bâillement et poussa un profond soupir. Ce n'était pas qu'il n'y pensait pas à leur mort. C'était juste qu'il n'arrivait pas à comprendre le besoin qu'avait les gens de venir se recueillir sur la tombe de leur défunts. Ils sont mort, ils ne peuvent pas nous répondre, si ? Et puis, même s'ils pouvaient nous voir, pourquoi revenir les déranger maintenant ? Maintenant qu'ils n'ont plus à se soucier de leur vie, autant les laisser se reposer en paix.
Le Furya n'aimait pas venir sur la tombe de ses parents. De toute façon, même son frère ne le faisait pas lui-même. Il envoyait son secrétaire y déposer un bouquet tous les ans, mais ne prenait pas le temps de se déplacer.
Le Furya et son Deamon marchait dans les allées, Keïta guidant la marche. Valdo la suivait distraitement, se demanda par moment si elle savait vraiment où elle allait. Le cimetière était grand oui, mais ils marchaient depuis déjà un moment...

-Keïta... c'est encore loin ?
-Ne parle pas comme un gosse, Valdo. On arrive bientôt. Tu as qu'à observer les tombes, ça t'occupera.

L'homme haussa nonchalamment les épaules. Son amie était de mauvaise humeur ce matin. Elle avait sans doute mal dormi. Pourtant hier, il avait fait un grand effort et ils avaient dormi au Manoir Destiny. Il n'y étais pas retourné depuis au moins deux semaines.
Au détour d'une allée, Valdo aperçut une silhouette debout devant une tombe. Il eut un sourire. Lui qui était persuadé que le cimetière serait désert à une heure pareille... Il détourna la tête de la silhouette et se concentra sur son Deamon devant lui. Keïta s'arrêta alors soudainement en face d'un caveau que le temps commençait à gâter. Le bouquet que Bruce avait fait amené l'année dernière, ou du moins ce qu'il en restait, pendait lamentablement dans un gros vase en pierre que l'humidité avait commencé à attaquer.

-Mon dieu, mon dieu... il est temps que quelqu'un fasse quelque chose, Valdo.
-Ouais, ouais, j'ai compris...

Alors qu'il se penchait pour ramasser les fleurs fanées, il entendit quelqu'un chanter. Il se tourna et se rendit compte que la personne qu'il avait aperçu quelques minutes plus tôt était à peine à quelques mètres de lui. Il sourit et se dirigea vers une poubelle pour jeter les fleurs, se rapprochant de l'inconnu et de la voix qui s'était mise à chanter.
La personne, le sentant visiblement arrivé, se tourna vers lui. C'était une femme. Et Valdo aperçut son Deamon, un chat roux, assis sur une tombe. Le Furya hocha la tête en signe de salut.

-Mademoiselle.

Il se pencha à terre et ramassa un seau qu'il remplit d'eau grâce au tuyau qui se trouvait à côté. Nettoyer une tombe...c'est la première fois qu'il allait faire un truc comme ça.

_ Mademoiselle.
Au moment même où elle se retourna, Gabrielle eut un sursaut intérieur. Surprise par une voix amicale la saluant, la jeune femme c’était retenue d’émettre le moindre son. Elle hocha tout de même la tête en signe de salut. Mr Crow, quand à lui avait doublé de volume. Ses poils s’étaient dressés au contact de la frayeur de son amie.

*C’est pas possible d’être aussi froussarde !*
* Et toi alors ? T’as tellement eu peur que j’ai l’impression que tu t’es empâté ! Et puis, c’est de sa faute ! A lui !*
* Ouais t’as raison ! Il n’aurait pas joué le gentilhomme qu’on serait resté tranquille !*

Ils regardèrent discrètement dans la direction de leur interlocuteur. Il remplissait un seau d’eau. Banal comme situation. Gabrielle
regarda Mr. Crow avec amusement.

_ Vraiment n’importe quoi ! On est vraiment des clowns !
*Avoir eu peur d’un homme aussi banal*
*Ne te fis pas aux apparences ! On ne sait jamais, c’est peut être un Kanak et…*

Soudain Mr. Crow s’arrêta net dans sa phrase. Ses poils se redressèrent de nouveau et ses yeux se noircirent dangereusement. La jeune femme suivit son regard et aperçut le Daemon de l’homme au seau d’eau. Une magnifique louve assise devant un caveau familial. Gabrielle ne put s’empêcher d’exploser de rire.

*Qui à la frousse, maintenant ?*

Pour voir si un chat pouvait pâlir, la jeune femme entreprit d’aller saluer l’homme au seau d’eau. Mr. Crow ne bougea pas d’un pouce.

_ Bonjour monsieur !...

Se trouvant soudainement bête, elle se rendit compte qu’elle ne savait pas quoi dire d’autre. Elle avait l’air vraiment cruche devant cet homme. Il ne lui restait plus qu’à miser sur la bavardise de monsieur.

Une fois son seau rempli, Valdo se pencha pour récupérer une vieille éponge qui trainait. Elle était complètement déchiquetée et semblait avoir perdu sa couleur d'origine depuis un moment... mais le Furya haussa les épaules. Pour récupérer une tombe, c'était suffisant. Il la jeta négligemment dans son seau et se redressa. Entre temps, la jeune femme qu'il avait salué s'était approché.
L'homme leva un sourcil surpris en sentant l'amusement flotté autour de l'inconnue. Elle s'approcha de lui et la salua. Et son amusement se transforma soudain en gêne. Valdo ne put alors réprimer un léger sourire. Il hocha de nouveau la tête à l'intention de la jeune femme. Elle l'avait salué mais semblait à cours de mots.

-Mademoiselle, répéta-t-il. Qu'est-ce qu'une jeune femme fait dehors à une heure pareille ? Et dans un cimetière qui plus est. Soyez prudente, Demoiselle. Ce monde est plein de gens dangereux.

Il rit doucement et se dirigea nonchalamment vers la tombe de ses parents, le seau d'eau pendant allègrement à son bras. L'aube était à peine levée et la plupart des gens dormaient encore à cette heure-là. Il fallait vraiment n'avoir rien d'autre à faire pour se retrouver dans un cimetière à cette heure...

*Bravo, Valdo. Elle va te prendre pour un dangereux psychopathe, maintenant.*
*Héhéhé... en l'espace de quelques minutes, elle est passée par un tas d'émotions différentes. J'ai trouvé ça très amusant.*
*Et ben c'est pas le moment de rire, on a du travail.*

Le Furya ne put cependant pas s'empêcher de garder un sourire béat aux lèvres. Il s'accroupit sur la tombe et entreprit de s'attaquer un vase de pierre recouvert de mousse. Portant l'éponge jusqu'à la pierre, il se fit alors la remarque que, juste avec de l'eau, il allait lui falloir une éternité pour en venir à bout. Réfléchissant un moment, il leva la tête et s'écria à l'adresse de la jeune femme.

-Dites-moi, Mademoiselle ! N'y aurait-il pas des produits d'entretien ou des herbicides près de vous ? Auriez-vous l'amabilité de me les amener ?
*Tu crois franchement, avec ce que tu lui as dit, qu'elle va s'approcher de toi?*
*Et ben, on va voir.*

Ravi d'avoir un peu de distraction, Valdo adressa un sourire aimable à la jeune femme, attendant sa réaction.

-Mademoiselle, répéta-t-il. Qu'est-ce qu'une jeune femme fait dehors à une heure pareille ? Et dans un cimetière qui plus est. Soyez prudente, Demoiselle. Ce monde est plein de gens dangereux.
Devant cette mise en garde, Gabrielle fut encore plus déstabilisée. Comment le prendre ? A la rigolade, ou alors au sérieux et, dans ce cas-là, se méfier de lui. L’homme au seau d’eau, qui avait pris une éponge, s’en retourna auprès du caveau en riant doucement. Maintenant, la jeune femme paraissait incrédule.

*J’y crois pas ! Il se fout de moi !*
*Fallait t’y attendre ! Tu es arrivée vers lui, prête à engager la conversation, et t’as fini par ne rien dire. Tu lui as tendu la perche !*

Mr.Crow avait retrouvé sa taille normale. Toujours assit devant la tombe, Gabrielle le rejoint, et se retourna de nouveau en se rappelant qu’elle devait nettoyer, elle aussi, la tombe. Mais pour se faire, il lui faudrait de l’eau, une éponge et du produit ! Cependant, il n’y avait qu’un seul seau et une seule éponge, et « Mr. Psychopathe-Moqueur » se les avait gentiment approprié pour une durée indéterminée. La demoiselle se détourna, avec un certain dégout, du tuyaux d’eau, sans seau, pour retourner vers son compagnon, en attend, quand la voix de l’homme l’interpella.

-Dites-moi, Mademoiselle ! N'y aurait-il pas des produits d'entretien ou des herbicides près de vous ? Auriez-vous l'amabilité de me les amener ?
*Non mais quel culot ! Pensent-elle. A quoi joue-t-il ? Il me cherche ?*
*Ne t’énerve pas ! Il veut peut être se faire pardonner de s’être conduit comme ca avec toi … Ou pas !*
*Du produit ? Y en a au moins ? Ha, oui ! Hé ! Hé! Hé ! Il ne va pas apprécier !*

Avec une certaine malice, Gabrielle ramassa une bouteille de liquide vaisselle presque vide, même pas de quoi faire quelque chose avec et la lui apporta avec un grand sourire.

*Fais quand même attention, on ne sait jamais.*
*Je sais, il est peut être vraiment dangereux après tout !*
* C’est pas de ca que je voulais parler…*

Gabrielle se retourna et vit une énorme boule de poils. Elle rit intérieurement et alla vers le psychopathe exigeant.

-Tenez !

Valdo réprima un haussement de sourcil en décelant l'amusement qui flottait autour de la jeune femme. Il tendit la main et attrapa le petit bidon de plastique transparent qu'elle lui tendait. Il le leva au niveau de ses yeux et jaugea la quantité de produit qu'il restait.

-Je suppose que si vous m'avez apporté ça, c'est qu'il n'y a rien d'autre, n'est-ce pas ?

Il sourit et se remit au travail sans attendre de réponse. Il vida avec application le peu de liquide qu'il restait dans son seau. Il remplit ensuite le bidon avec un peu du contenu de son seau et agita vivement avant de la vider à nouveau. Il renouvela cette opération plusieurs fois afin de récupérer le plus de liquide possible. Une fois satisfait, il reboucha le bidon et le déposa à terre. Il reprit son éponge défraichie et s'attaqua au laborieux travail de récurage. Il avait complètement oublié l'inconnue et son Deamon chanteur.
Mais Keïta ne l'avait pas oublié. Elle laissa son ami à sa tâche et se dirigea vers la jeune femme.

-Veuillez le pardonner, s'il vous plait. C'est un enquiquineur de première, mais il n'est pas méchant.

Elle hocha doucement la tête et ramassa le bidon de liquide vaisselle. Elle serra juste assez la mâchoire pour qu'il ne bouge pas, sans risquer de le percer et se rendit vers la poubelle la plus proche. Elle se redressa sur ses pattes arrières et tenta d'en ouvrir le couvercle. Mais en vain. Elle n'avait pas les pattes faites pour. Et si elle tentait de l'ouvrir avec son museau, il se refermait à tous les coups sur elle. Elle finit pas abandonner et se mit à chercher de l'aide. Mais Valdo était occupé et, Keïta ne voulant surtout pas qu'il s'arrête de peur qu'il ne veuille pas reprendre, elle décida de le laisser tranquille. Elle chercha alors du regard la jeune femme qui leur avait donné le bidon qu'elle tenait toujours dans sa gueule.